Mercredi 2 octobre 2019 – je saute sur mon scooter pour rejoindre le n°46, avenue Tran Hung Dao, où se trouve depuis sa fondation les locaux de la maison d’édition Thế Giới, les Éditions en Langues Étrangères du pays. Le Dr Trần Đoàn Lâm, directeur, accepte de me recevoir dans la salle de travail où les livres et les dossiers s’entassent les uns sur les autres, pêle-mêle, dans un désordre qui n’est qu’apparent.
L’idée de cet article est de présenter l’un des organes culturels les plus importants du pays, à tout le moins sur la scène internationale.
Voici ce qu’en dit un fascicule publicitaire publié en 1992 :
« THE GIOI
EDITIONS EN LANGUES ETRANGERES
46 Rue Tran Hung Dao, Hanoi, RSV
[…]
- Publie des ouvrages dans différents domaines – politique, société, littérature, art, science et technologie, guide touristique…- et des livres en coédition avec des éditeurs ou des organismes étrangers en dix langues, français, anglais, chinois, espagnol, allemand, japonais, russe, espéranto, lao et cambodgien.
- Et la revue ETUDES VIETNAMIENNES, trimestrielle en français et en anglais.»
Bref retour sur l’histoire des Éditions The Gioi
En 1954, après que le Vietnam est libéré de l’occupation française, le pays est divisé en deux, le Nord s’évertuant à mettre en place une société socialiste avec l’aide de l’U.R.S.S. et de la Chine principalement, le Sud quant à lui suivant plutôt les pas de son allié américain.
La maison d’édition Thế Giới – « du Monde » – est née le 16 mars 1957, sous la houlette du Département d’Éditions. Le but original est de présenter le Vietnam au monde. « Le Vietnam n’a alors aucune position internationale » m’explique le Dr Lâm, directeur des Éditions The Gioi depuis 2003. Il est vrai qu’en tant que colonie émancipée, meurtrie par des années de guerre, et dont l’indépendance durement gagnée s’empêtre au milieu du soutien insistant de la Chine populaire, le Vietnam trouve qu’il est dans son intérêt immédiat de gagner à sa cause les étrangers soucieux de son sort.
Jusque-là, la revue principale en français dans le Nord se prénommait Le Vietnam en marche mais elle dut mettre les clefs sous la porte en 1964.
Le même année, la maison d’édition connaît son premier véritable essor : le Dr Nguyen Khac Vien, de retour de France où il a séjourné de longues années dans le cadre de son doctorat en médecine, fonde les Études vietnamiennes (en français et en anglais), une revue de sciences sociales sur le « pays en forme de dragon », puis Le Courrier du Vietnam, un hebdomadaire. Ci-dessous, quelques exemples de numéros des Études vietnamiennes :
- Nguyên Du et le Kiêu (n°4|1965) ;
- Contribution à l’histoire de Dien Bien Phu (n°3|mars 1965) ;
- Éducation en République Démocratique du Vietnam (n°5|1965) ;
- La Santé en République Démocratique du Vietnam (n°6|1965) ;
- Pages d’Histoire 1945-1954 (n°7|1965) ;
- Régions montagneuses et minorités nationales en République démocratique du Vietnam (n°15|1968).
Le 4ème numéro des Études vietnamiennes, sur le Kiêu
Entre 1970 et 1978, la maison d’édition et les deux organes passent sous le contrôle du Comité central de communication et d’éducation du Parti communiste vietnamien. Huu Ngoc, recruté par Nguyen Khac Vien, prend alors en charge l’édition des Études Vietnamiennes.
« C’est en 1971 que nous prenons le nom d’Éditions en Langues Étrangères » poursuit le directeur en feuilletant distraitement les pages du mémoire qui retrace l’histoire de l’entreprise. Sept ans plus tard, Le Courrier du Vietnam ne dépend plus des Éditions en Langues Étrangères. Nguyen Khac Vien se retire de la direction au profit de Huu Ngoc, mais conserve son influence en raison de sa grande érudition.
Huu Ngoc lui-même dirigera les Éditions en Langues Étrangères jusqu’en mars 1990, un an avant que l’entreprise ne prenne le nom qui lui sera définitif : « Nhà Xuất Bản Thế Giới », les Éditions du Monde. À l’aulne du Dôi Moi (1986, « pérestroïka » vietnamienne) qui marque l’ouverture du pays au marché commun et le lancement de réformes d’une ampleur considérable dans tous les secteurs-clé de la société, la maison d’édition cherche à s’inscrire dans la dynamique mondiale et à participer aux efforts nationaux de faire connaître le Vietnam au reste du globe. Le Dr Lâm revient brièvement sur le contexte : « Le Vietnam veut prouver qu’il est devenu un membre digne de confiance de la communauté internationale. ».
Dr Lâm, directeur
Perspectives pour l’avenir
Le Dr Lâm, polyglotte – il maîtrise à des degrés divers le mandarin, le russe, l’anglais et peut lire le français mais aussi le nôm (caractères sino-vietnamiens) – a rejoint l’entreprise en 1995. Après avoir contribué au New Vietnam magazine, il part travailler dans le département anglais des Éditions, puis en prend la direction. C’est en 2003 qu’il devient finalement le directeur des Éditions The Gioi. Se définissant lui-même avec humour comme « bookworm » (rat de bibliothèque), cet homme de 55 ans n’a pas terminé d’être curieux : actuellement, ses recherches portent sur les maisons communales vietnamiennes. « Si l’on a beaucoup écrit sur les maisons communales du point de vue architectural, il me semble que l’aspect culturel a été quelque peu délaissé. » me partage-t-il, le regard vif. « Je m’intéresse par ailleurs beaucoup aux traditions musicales du pays qui sont extrêmement riches. ».
Dossiers et publications
Très optimiste sur l’avenir de la maison d’édition, les projets ne se comptent plus. Dorénavant, il souhaite activement traduire les mémoires et autres souvenirs de Français ou d’Étrangers qui ont vécu au Vietnam à l’époque coloniale. Le Droit vietnamien stipule en effet que tous les ouvrages de plus de 70 ans tombent dans le domaine public et peuvent donc être traduits et publiés.
Les Éditions Thế Giới renouvellent constamment leur catalogue : des traductions d’oeuvres militantes à celles de classiques comme le Kiêu ou de romans contemporains, il y en a pour tous les goûts.
Pour boire un café et acheter les livres des Éditions Thế Giới :
46, rue Tran Hung Dao, Hoan Kiem, Hanoi.
Site web : http://www.thegioipublishers.vn/en/home/