Si dans les festivités de Noël et du Nouvel an de l’Occident ne nous parviennent plus que quelques échos des vieux cultes préchrétiens, et que le caractère proprement chrétien de Noël qui s’y était superposé ne survit plus qu’au sein des seules familles catholiques, le Têt vietnamien, lui, est parvenu à conserver son essence en dépit d’une modernité galopante et d’un consumérisme qui se font de moins en moins respectueux des traditions nationales.
Tout le pays se rassemble en famille pour fêter la fin d’un cycle et la naissance du suivant ; la mort de l’hiver et le retour du printemps ; la communion des ancêtres avec leurs descendants, au travers de rites minutieux qui perpétuent le souvenir de ceux qui sont déjà partis mais qui veillent toujours sur leurs fidèles continuateurs.
Il s’agit d’une célébration totale, holistique, qui prend en compte tous les aspects de la vie sociale comme des domaines religieux et spirituel proprement dit. Le Tết est en effet tout à la fois culte de la terre, culte des ancêtres et culte du Ciel.
Mais redonnons vie et parole aux professeurs Huard et Durand qui surent mettre en lumière les caractères de la fête la plus importante du Vietnam :
« Le Tết (tết Nguyên-đán), fête du premier jour de l’année ou tết cả, grande fête, est une fête mobile, correspondant à la nouvelle lune et placée à mi-distance entre le solstice d’hiver et l’équinoxe de printemps. Elle dure du premier au septième jour du premier mois, mais les travailleurs ne se reposent que trois jours. Il constitue le plus grand évènement de l’année vietnamienne. »
Cette année, le Tết aura lieu le samedi 10 février 2024, bien que les festivités démarrent toujours la veille – équivalent, pour les Occidentaux, de la Saint-Sylvestre comme du Réveillon de Noël. La nouvelle année qui s’annonce se fera sous le patronage du Dragon.
Pourtant, le Tết ne survient pas seul et démarre une semaine en amont avec le culte du Dieu du foyer. À l’approche de ces fêtes d’ailleurs, les Vietnamiens s’activent au « grand nettoyage de printemps » et s’échinent à décrasser, récurer et poursuivre la saleté aussi bien à la maison qu’au bureau. Tout ce qui peut être réparé le sera, on repeindra les murs dont la peinture s’écaille, et c’est pourquoi il n’est pas rare, à l’approche du Nouvel an, de voir et d’entendre les ouvriers travailler d’arrache-pied partout dans la ville. Ce n’est qu’au jour du Nouvel an proprement dit que la ville se met au repos.
« Dès la veille (23e jour de la 12e lune), une perche de bambou, haute de 5 à 6 mètres (cây nêu), a été plantée devant la maison. Non loin du sommet est suspendu un cercle de bambou auquel sont attachés des lingots d’or-papier et des carpes (cá chép), susceptibles d’après la légende de se transformer en dragon (cá hóa long) et de servir de monture à Ông Tào (Dieu du foyer) dans son voyage vers le Ciel (vide infra), et des plaques d’argile sonores (khánh).
A cette même date, le dernier des dieux de la triade domestique (Thổ địa, dieu du sol ; Thổ kỳ, déesse de la terre ; Ông Tào ou Thổ-cộng ou Ông vua bếp, dieu de la cuisine, ou du sol, ou roi du foyer), est censé remonté au ciel pour sept jours jusqu’au soir du 30e jour du 12e mois. Son absence symbolise la mort de la Nature pendant l’hiver et son retour marque son rajeunissement et son renouveau. Le Têt est donc une date critique qui interrompt la continuité du temps et rythme la vie des hommes et des choses (Przyluski). »
Tous les Vietnamiens, effectivement, quel que soit le degré de piété qui les inspire, réalisent ces rites qui relèvent aussi bien du social que du spirituel. Ainsi que l’écrivait le R.P. Cadière, « le peuple annamite est profondément religieux » (p. VIII). Et qu’est-ce qu’être religieux, sinon être scrupuleux, ainsi que nous l’enseigne son étymologie ? Scrupuleux à l’égard de soi, des siens, de la société, du Ciel et de ses manifestations. Scrupuleux dans les rites qui agrègent ce tout que l’on nomme société.
« Le Tết est aussi une fête des vivants et des morts. Le premier jour est réservé au culte des ancêtres ; le second aux proches parents et le troisième est aussi consacré aux défunts. Tous les actes du commencement de l’année neuve paraissent avoir une certaine affinité inquiétante et prometteuse susceptible d’engager l’avenir. »
On le sait, le culte des ancêtres est véritablement le socle de la société vietnamienne. Il plonge ses racines dans le plus lointain passé, précédant le confucianisme et sa piété filiale qui ne furent cependant pas pour rien dans la consolidation de cette croyance rituelle essentielle.
Pour en savoir plus sur le culte des ancêtres au Vietnam : https://vac-tours.com/le-culte-des-ancetres-au-vietnam-retour-sur-une-tradition-essentielle/
« Le premier visiteur qui vient fouler le sol domestique (xông đất) doit être un homme chanceux dont le phúc personnel sera bénéfique à toute la famille. Il en est de même pour la première sortie (xuất hành) et la reprise de toutes les activités qui renaissent après le repos sacré et qu’on célèbre par des cérémonies ‘’d’ouverture’’ (cf. p. 58) à rapprocher du tích-điền (cf. p. 121) et du động-thổ. ‘’L’ouverture’’ des sceaux des fonctionnaires (khai ấn) avait lieu le 4e jour. À la campagne, un interdit frappe tout travail de la terre et même tout acte tendant à la faire sortir de son repos sacré. Les rites du động-thổ procèdent à ‘’l’activation du sol’’, le désacralisent et neutralisent les énergies divines qui pourraient être dangereuses pour les travailleurs des champs. » (pp.78-79)
Fête tellurique, fête de la chance, les Vietnamiens sont persuadés que la façon dont se déroule le premier jour du nouvel an détermine tout le restant de l’année. D’où une conduite qui se veut exemplaire (on ne jure pas, on ne s’énerve pas, on se contrôle), l’échange de vœux multiples et d’enveloppes rouges contenant ce que dorénavant les Vietnamiens eux-mêmes appellent le lucky money (lì xì), la multiplication des offrandes et l’organisation de festins qui se veulent augures de prospérité et de bonne santé.
Alors, à tous les Vietnamiens et aux autres, chúc mừng năm mới (Bonne année) !