L’équipe de VACTOURS s’est rendu au village de Yen Nghia en banlieue de Hanoi, à la rencontre de Phuong, notre ami et partenaire qui tient une maison d’hôtes sur place et accueille pour notre agence exclusivement des voyageurs de France et d’Italie.
Si le village ne se trouve pas à proprement parler dans la campagne profonde, qu’il n’évoque pas les homestay professionnels des montagnes du Haut-Tonkin et ne possède pas le parfum “ethnique” authentique qui travaille l’imagination des voyageurs, il représente tout de même, à 15 kilomètres seulement de la capitale, une opportunité indispensable pour découvrir le Vietnam de l’intérieur. La visite de Yen Nghia, de ses hauts lieux (Maison Communale, Pagode, marché local, vergers et champs, ruelles), la nuit chez l’habitant francophone né dans un pays qui ne connaissait pas encore l’abondance et se relevait difficilement de longues années de guerres et de divisions, vous donnent les moyens de comprendre de façon plus précise la mentalité du Vietnamien contemporain ; comment s’articulent modernité et tradition dans un XXIème siècle qui avance à pas de géants. Découvrez en exclusivité pour VACTOURS l’entretien réalisé par Benoît avec le propriétaire de la maison d’hôtes, Phuong.
Entretien
VACTOURS : Bonjour Phuong ! Gérant d’une maison d’hôtes, vous avez accepté cet entretien pour que les voyageurs qui choisiraient de réaliser leur périple avec nous cernent un peu mieux votre personnalité. Commençons tout de suite, si vous le voulez bien, par une présentation de votre milieu social d’origine.
Phuong : Je suis né dans une famille d’intellectuels. Mon grand-père était un comptable à la mairie sous le régime communiste, et ma grand-mère une paysanne. Il connaissait le mandarin et avait même fait de la traduction en version chinoise pour les explications de certains lieux touristiques, comme la fameuse Pagode des Parfums.
Mes grands-parents eurent trois fils et deux filles : mon père est l’aîné de la fratrie et a fait des études de chimie afin de devenir professeur au lycée. Ses petits-frères ont travaillé dans une centrale hydraulique de Hoa Binh. Quant à ses sœurs, l’une est devenue enseignante et l’autre a fini paysanne.
Mon père a été enrôlé pendant trois mois lors de la guerre civile vietnamienne, avant de retourner à la vie civile en 1968 pour poursuivre ses études. Comme c’était un bon élément, travailleur et intelligent, on lui a vite proposé une bourse afin d’aller étudier en URSS, mais il n’avait pas le poids minimum requis donc la bourse lui a échappé. Il pesait en effet moins de 40kg. Il faut dire que c’était une période de disette. Il termine donc son cursus au Vietnam et devient professeur dans un lycée de la banlieue de Hanoi.
Mes parents se sont rencontrés à Cam Pha, dans la province du Quang Ninh, à proximité de la baie d’Halong, leur province natale. En fait, mes deux grands-pères paternel et maternel étaient collègues, il s’agit donc d’un mariage arrangé et non d’amour. Une vraie famille d’intellectuels se perpétuait !
Mon père, longtemps, s’est prévalu d’une vie de soldat : il ne voyait pas souvent sa femme ni ses enfants car il travaillait assez loin.
VACTOURS : Parlez-nous un peu de votre enfance, de votre jeunesse.
Moi, Ngô Xuân Phuong, je suis né au village de Tien Phuong au printemps 1976, d’où mon nom (Xuân : printemps ; Phuong : le village). J’ai eu par la suite deux petites sœurs, l’une née en 1979 et l’autre née en 1982, très peu de temps avant la politique gouvernementale de 2 enfants seulement pour les familles intellectuelles… heureusement, sans quoi mon père aurait pu perdre son travail.
Nous étions très pauvres à l’époque, vivions de tickets de rationnement que le gouvernement distribuait. Nous avions droit à 10kg de riz par tête par mois, ainsi que 4kg de viande et 1kg de poisson. Les petits fonctionnaires n’en menaient pas large à l’époque, car entre 1980 et 1989, ce furent les années noires du Vietnam. Disette, famine, isolement du Vietnam, embargo… Souvent, les professeurs abandonnaient leur métier ou alors cumulaient. Mes parents, eux, restèrent professeurs jusqu’à leur retraite (60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes : cela paraît jeune et avantageux, mais en réalité, c’était pour laisser la place aux plus jeunes après 25 ans de métier).
Mon enfance a été très naturelle : je ramassais le riz, chassais les oiseaux, portais le bois, je m’occupais de la maison, de mes petites sœurs quand mes parents partaient travailler ; j’ai moi aussi porté le balancier pour chercher les fruits dans les vergers alentours. Ce n’était pas une enfance malheureuse, mais c’était probablement l’une des pires périodes du Vietnam.
VACTOURS : Qu’est-ce qui vous a donc mis sur le chemin du tourisme et de l’accueil ?
J’ai effectué toute ma scolarité à Yen Nghia, le village où je vis : maternelle, primaire et collège, puis le lycée où je suis tombé amoureux de la langue française par un étrange concours de circonstance. Le premier lycée que j’ai intégré n’avait que l’anglais, mais ayant dû changer d’établissement au bout de 6 mois, celui du village de Tran Hung Dao – du nom du général victorieux vietnamien – ne proposait plus que le français et c’est ainsi que je me suis mis à la langue de Molière. Il faut dire qu’à l’époque, j’étais fan de Michel Platini et ses exploits lors de la coupe du Monde de 1986. Je regardais tous les matchs, parfois jusqu’à 3h du matin.
J’ai ensuite préparé un difficile concours pour intégrer l’Université des Langues Etrangères de Hanoi, en vue de devenir professeur. Quatre ans après, avec ma licence en poche, je traverse une période de chômage longue de six mois. En février 1999, je décroche un boulot dans le domaine de l’hôtellerie. Je décide toutefois, en parallèle, de poursuivre des études à l’Université Nationale d’Economie pour parfaire mes connaissances. C’est ensuite que je deviens guide professionnel.
VACTOURS : Qu’est-ce que le métier vous a appris ? Qu’est-ce qu’il vous a apporté ?
C’est un métier privilégié pour rencontrer des francophones, élargir ses connaissances de base, apprendre sur le tas de manière pratique. Non seulement la langue, mais la culture et aussi la mentalité. Je bénéficie d’influences nouvelles, dynamiques, logiques, à l’opposé même d’un communisme purement théorique.
Avec les connaissances accumulées à l’hôtellerie, je commence à me développer et souhaite répondre à la forte demande touristique occidentale. Ma passion pour l’économie mais aussi pour le voyage me conduisent à travailler dur.
J’ai décidé d’aménager mon terrain pour en faire une maison d’hôtes. L’idée était de concilier accueil authentique vietnamien et confort aux normes européennes. Ce que j’apprécie dans le fait d’accueillir des touristes français, c’est que cela m’offre l’opportunité d’avoir des échanges plus profonds avec les voyageurs ; de partager nos expériences dans plusieurs domaines – politique, culturel, économique, etc. Je ne cesse jamais d’apprendre, et mes enfants non plus. Le fait de recevoir des Occidentaux leur permet de briser leur timidité.
Je me suis donc marié en 2009 avec Phuong Anh. De ce mariage sont issus deux enfants. D’abord, ma petite fille Lam, née en 2009 – son prénom signifie forêt. J’ai la nostalgie d’un temps où le Vietnam était couvert d’arbres… Ensuite, mon fils Bach, né en 2011 – son prénom est celui d’un arbre qui pousse dans les montagnes calcaires.
Depuis dix ans, je vis un mariage et une vie de famille heureux.
VACTOURS : Vous vous appelez Phuong mais vous avez aussi un prénom français…
Je m’appelle Phuong, mais très vite je me suis doté d’un prénom français : Alexandre. Facile à retenir, c’est un peu ma « marque de fabrique » : Alex se retient mieux que Phuong, comme Apple, Dell, etc. Ce sont mes connaissances en économie qui m’ont conduit à choisir le surnom de « Phuong Alex », comme une marque (rires).
En pleine période de mondialisation, j’ai aussi voulu pour mes enfants des prénoms faciles à prononcer tant par les Viets que par les étrangers : Lam et Bach. Aussi faciles que Coco Chanel ou Lacoste (rires). Moi, je ne suis ni riche ni talentueux, car mon prénom n’est pas une bonne marque.
VACTOURS : Qu’est-ce qui vous parle dans la culture française ? Qu’est-ce qui touche votre sensibilité ?
Au siège étudiant de l’Université, j’ai appris non seulement la langue française mais également la gastronomie, les châteaux, les vignobles, les produits cosmétiques, la littérature. Un temps, je me suis même passionné pour la fusée ARIANE.
Les références culturelles qui m’ont accompagné tout au long de ma vie de francophone sont : une adaptation de L’Avare de Molière qui passait à 7h du matin le dimanche, et bien sûr Notre Dame de Paris de Victor Hugo. Le programme télévisé en langue française ne durant qu’une heure, on restait souvent sur sa faim. Le dimanche, il y avait effectivement des films internationaux de tous pays : France, Angleterre, Chine, Russie, tous sauf États-Unis. L’un de mes films préférés, jadis, était Les gendarmes de Saint-Tropez.
VACTOURS : Avez-vous un mot à rajouter sur vos motivations, sur vos objectifs futurs ?
Très influencé par le bouddhisme originel, indien donc, sans mélange, je regrette beaucoup de choses : la déforestation, l’absence de scolarisation pour les enfants pauvres des ethnies minoritaires des montagnes du Nord. Pour le moment, je tente d’accumuler un certain capital qui me permettra un jour d’accomplir mon devoir de charité. Je souhaite effectivement réaliser des opérations de charité car j’ai moi-même un enfant handicapé et je connais les coûts conséquents que cela implique sur un budget familial. Je veux aider directement les gens, et non à travers des associations gouvernementales ou paragouvernementales spécialisées. Produits alimentaires de base, fournitures scolaires, etc… Et j’aimerais, à terme, faire participer les voyageurs à une forme de tourisme solidaire qui les rend acteurs et non plus seulement spectateurs.
VACTOURS : Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
Phuong : C’est moi qui vous remercie. Si jamais vous passez par Yen Nghia dans le futur, venez nous voir ! On boira un coup (rires).
© Benoît BISSON
Je connais bien Alex je suis allée 6 fois au Vietnam en 3 ans , il m’a accompagné partout ! C’était magnifique de découvrir le pays avec lui ! Sa famille est adorable 🥰 une deuxième famille pour moi ! À jamais dans mon cœur ♥️