Si l’on s’interroge sur les aspects culturels les plus populaires du Vietnam à l’étranger, il est évident que l’on commencera par les deux guerres auquel le peuple vietnamien paya son lourd tribut ; les buffles d’eau et leurs énormes cornes, broutant au milieu des rizières ; les ao dai ajustés au corps de jeunes et pétillantes demoiselles à la chevelure noire et soyeuse qui font tourner la tête des passants distraits ; et, last but not least, le fameux chapeau conique vietnamien que l’on peut retrouver aussi bien sur la tête des paysans les pieds dans la boue dans leurs champs, que sur celle des travailleurs manuels en ville ou encore des femmes se prélassant lors d’une séance de « modeling » aux abords de l’un des soixante-dix lacs de Hanoï.
VACTOURS revient dans le présent article sur les origines de cette tradition vestimentaire du Vietnam et sur ses techniques de fabrication.
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Les origines du chapeau conique vietnamien
« Le mot nón désigne en général un chapeau traditionnel, souvent en feuilles, qui ne colle pas aux cheveux. »[1], commence par nous expliquer l’érudit Huu Ngoc dans un article informatif sur le chapeau en feuilles que portent les Vietnamiens, par opposition au terme « mũ » qui lui désigne les couvre-chefs touchant les cheveux voire enrobant la tête, comme les casquettes par exemple.
Si on le retrouve sous toutes ses variantes en Chine, au Japon, en Corée et dans le reste de l’Asie du Sud-Est, le chapeau conique spécifiquement vietnamien, lui, ne date pas d’hier et possède sa propre histoire : « [il] fait son apparition dans des mythes qui remontent à l’aube de la nation vietnamienne il y a plus de trois mille ans. »[2] La légende du Génie de Gióng, un bambin de trois ans subitement métamorphosé en géant, part à l’assaut des envahisseurs du Nord, coiffé d’un chapeau conique en métal ; cette autre légende de deux amants pieux bouddhistes qui, ne trouvant pas d’abri pour la nuit en plein désert, s’en remirent au destin : un bâton magique fut planté dans le sol, rehaussé d’un chapeau de feuilles également magique, et de là surgit un immense palais en pierre précieuse.
Le chapeau conique est également présent dans le culte des Déesses Mères (Tho Mâu) : dans les tempes, des coiffes de ce type, de toutes les couleurs, pendent au-dessus des autels.
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Les techniques de fabrication
Pierre Huard et Maurice Durand, de l’École française d’Extrême-Orient, sont revenus au siècle dernier sur les différents types de chapeau conique qui existent au Vietnam, et sur leurs techniques de fabrication : « Les chapeaux de feuilles (nón la) sont coniques pour les hommes et plats pour les femmes, leurs dimensions pouvant alors atteindre celle d’une petite roue de voiture. […] Les chapeaux coniques en feuilles de latanier non laqués comportent une qualité supérieure venant du Nghè-An (nón Nghè) dont l’intérieur est orné de fils de soie entrecroisés ; une qualité moyenne, faite à Hanoï (nón ba tam) et une qualité inférieure (nón la tui). »[3] On note ici une différenciation des coiffes selon le sexe, la position sociale, etc.
Les techniques de vannerie (l’art de tisser des matériaux végétaux) sont très développées. Le latanier est un arbre qui ressemble à certains égards au palmier, et dont les feuilles, si elles sont bien maîtrisées, peuvent conduire à des prouesses dans le domaine de l’artisanat. La structure du chapeau, elle, est en bambou, un bois flexible.
Huu Ngoc, lui aussi, a étudié les différents types de chapeau conique : « La gamme des nón est très large. Le chapeau conique de Hué fait voir un poème en idéogrammes quand on l’examine devant un fond de vive lumière. Le nón chóp est un chapeau conique d’homme à sommet métallique. Le nón chuông, fabriqué au village Chuông de Hà Tây, […] est décoré à l’intérieur de fleurs en papier, sur les flancs de dentelles en couleur.
Nón dâu en bambou, à sommet métallique, est une coiffure de soldat d’autrefois. Le chapeau de bonze est fait de feuilles grossières, le nón son est laqué, le nón de mandarin est en plumes… »[4] De fait, chaque couche sociale de la population possédait jadis sa propre coiffe. Aujourd’hui, les chapeaux les plus raffinés ne sont plus portés que lors d’occasions très spécifiques ; seul perdure le chapeau conique du paysan, utilisé par tous et en toutes circonstances.
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Le chapeau conique en toute situation au Vietnam
Laissons une dernière fois la parole à Huu Ngoc qui nous rappelle à quel point le chapeau vietnamien peut servir à tout moment : « Excellent pour la lutte contre les intempéries, le nón se prête à tous les usages. Il sert de toit pour la petite marchande de légumes dans un marché en plein air, de panier pour la ménagère allant faire ses provisions, d’éventail pour le laboureur derrière son buffle, de flotteur sur lequel on met les vêtements quand on traverse une rivière… »[5] Les femmes de ménage qui se déplacent à vélo, les travailleurs manuels qui s’attèlent à désherber ici et là, les ouvriers qui triment dur dans les chantiers, les jeunes filles qui posent an ao dai coiffées de leur élégant nón et, finalement, les touristes qui repartent chez eux munis de cet atour bon marché : tout le monde peut porter le chapeau conique au Vietnam !
[1] Huu Ngoc, « Le chapeau en feuilles », À la découverte de la culture vietnamienne, Éditions The Gioi, 2010 : pp.294-296.
[2] Idem
[3] HUARD Pierre et DURAND Maurice, Connaissance du Viêt-Nam, EFEO, Hanoi, 1954 : p.181
[4] Huu Ngoc, Op.Cit., pp.295-296
[5] Ibid : p.296