« Le café fut introduit au Vietnam par les Français. Mais jusqu’à ce jour, il n’a obtenu ses lettres de noblesse qu’auprès de la population urbaine; et encore, seulement parmi les couches aisées, les intellectuels, les artistes. La majorité du peuple, en particulier toute la paysannerie, reste fidèle au thé. » écrit l’érudit Huu Ngoc en 1992 dans un article intitulé « Entre thé et café »[1]. Près de trente ans auparavant, un tel avis faisait autorité mais, aujourd’hui; du fait de la mondialisation, de l’apparition d’une culture du café qui s’est développée en parallèle avec celles des office space (bureau); et des professional meetings (rendez-vous professionnels), il est évident que le café vietnamien est devenu une véritable habitude, sinon une tradition, au sein de la société.
Le Vietnam, deuxième producteur de café mondial
D’un point de vue économique, il faut insister sur le rôle prépondérant de la caféiculture dans le développement économique du pays des vingt-cinq dernières années. « En résulte une production vietnamienne désormais la deuxième plus volumineuse au monde; mais néanmoins loin derrière celle du Brésil, pays tout de même 26 fois plus étendu. Bien sûr, le café produit au Viêtnam, essentiellement du robusta, n’est pas toujours de la meilleure qualité. Mais il n’en demeure pas moins que les petits producteurs familiaux vietnamiens ont confirmé cette propension des paysans du Sud-Est asiatique à souscrire aux dynamiques pionnières et à contribuer de façon très significative aux exportations vers les marchés internationaux. »[2]
Nombreux sont les étrangers à ignorer que le Vietnam est effectivement le deuxième producteur mondial de café; avec une production de 1 542 398 de tonnes de café vietnamien pour l’année 2017[3]; juste après le Brésil et devant la Colombie et l’Indonésie.
« Le rôle du café dans la société et dans l’économie locale a été amplifié par certains bouleversements démographiques. »[4] explique le géographe Frédéric Fortunel en montrant comment la caféiculture au Vietnam a redynamisé les logiques territoriales et participé au développement économique des minorités ethniques dans les régions où est produite la fameuse graine.
De fait, une production aussi importante ne pouvait manquer d’influencer sur le comportement du marché national; même si le café vietnamien est également un produit d’exportation.
Le rôle social du café vietnamien
Dans un pays aussi marqué par la tradition du thé, les consommateurs auraient pu ignorer le café ; au contraire, suite à l’introduction du café lors de la colonisation de l’Indochine par la France, le café s’est greffé à cette tradition préexistante du thé pour fleurir un peu partout dans le pays. La production s’est principalement développée dans le Nord du pays à l’époque de l’Indochine française, pour ensuite se poursuivre dans les hauts plateaux du Centre puis au Sud même du pays, où le climat lui était profitable.
Il est évidemment que c’est surtout dans la République du Vietnam (Sud-Vietnam) que cette nouvelle culture du café vietnamien s’est renforcée; du fait que l’occidentalisation des mœurs ait été plus marquée alors qu’au Nord; on souhaitait, dans le cadre d’un combat pour l’indépendance nationale; insister sur ce qui faisait l’authenticité vietnamienne contre les influences étrangères.
Qui dit « boisson café » dit « établissement café » : on se repose, on flâne; on boit en compagnie de ses collègues, de ses amis, de ses amours. Dans les années 1960 et 1970, avec l’essor d’une pop-vietnamienne incarnée en son temps par le compositeur Trinh Cong Son et la chanteuse Khanh Ly; cette tradition du café vietnamien prit tout son sens pour les couches urbaines du peuple vietnamien ; elle devait reprendre à partir du Doi Moi (1986) – ouverture à l’international du pays – et plus encore à la fin de l’embargo américain (1994) dans tout le pays.
Aujourd’hui, on ne compte plus le nombre de cafés parsemés dans les rues ; chacun a son charme, sa spécificité, son caractère. Certains offrent davantage de calme, une certaine odeur d’antan; dans lesquels il n’est pas rare de voir quelques jeunes s’essayer à la guitare ou bien entendre des vieilles chansons ; d’autres, au contraire, jouent de la techno.
Il existe par ailleurs des cafés concerts un peu comme jadis en France; où, le vendredi ou le samedi soir; des groupes viennent jouer de vieux airs pour les plus passionnés des buveurs.
Le café vietnamien, plus qu’une boisson, est une pratique sociale.
Quel café vietnamien boire ?
Il existe évidemment de nombreuses boissons à base de cafés; principalement élaborées avec un filtre (ca phe phin) comme à l’époque; bien que la machine à café progressivement soit en train de remplacer cette tradition esthétique.
- Ca phe sua da : café frappé au lait, la boisson la plus répandue dans le pays; en été comme en hiver (bien qu’au Nord, le café chaud à cette période-ci de l’année puisse être préféré – ca phe sua nong) ;
- Ca phe den nong : café chaud noir, sans sucre ni lait, très fort.
Il existe également différents types de boissons améliorées et typiquement vietnamiennes, comme :
- Ca phe chon : beaucoup plus cher et rare; les graines de ce type de café sont digérées par des belettes puis déféquées, nettoyées et soignées (Weasel coffee).
- Café à l’œuf [ajouter lien à l’article]: un café très prisé par les touristes comme les nationaux où le lait est remplacé par un œuf; ce qui donne une boisson particulièrement onctueuse, que l’on peut boire chaude ou frappée.
En conclusion :
La culture du café vietnamien, jeune mais dynamique tradition; s’est développée dans le sillage tracé par la culture du thé il y a des milliers d’années de cela. Les voyageurs étrangers qui se rendent dans le « pays en forme de dragon »; se doivent de faire au moins une fois le détour par l’un de ces petits tripots qui font vivre les rues. Ils pourront y jauger le tempérament vietnamien, semblable à certains égards à celui du Français d’antan : dilettante, esthète, rêveur romantique.
[1] Huu Ngoc, « Entre thé et café » in À la découverte de la culture vietnamienne, Éditions The Gioi, 2006 : p.358.
[2] de Koninck, Rodolphe, et Jean-François Rousseau. « Pourquoi et jusqu’où la fuite en avant des agricultures sud-est asiatiques ? », L’Espace géographique, vol. tome 42, no. 2, 2013, pp. 143-164.)
[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Coffee
[4] Frédéric Fortunel, « Trajectoires foncières de minorités ethniques au Vietnam », Études rurales, 181 | 2008, 103-114.