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L’ao-dai traditionnel vietnamien, symbole d’une culture et d’une époque
Voilà comment l’ethnologue Caroline Grillot résume l’ao dai, la robe vietnamienne traditionnelle : « Tenue féminine traditionnelle composée d’une tunique longue, à manches longues, fendue sur le côté et portée sur un pantalon cintré, large et flottant. Recouvrant tout le corps tout en suggérant les formes des femmes, aujourd’hui il n’est plus porté au quotidien que par les étudiantes de certaines écoles, le personnel administratif et certaines hôtesses ou employées. En dehors de cela, l’ao-dai est devenu une tenue de fête, portée lors d’occasions particulières par des femmes de toutes générations. »[1]
En effet, en dehors des personnes plus âgées ou lors de fêtes (mariages, enterrements, Nouvel an, mais aussi ouverture de magasins ou vernissage d’expositions; ou à proximité des fleuves ou du Temple de la Littérature pour une séance de « modeling »); l’ao dai vietnamien sera peu porté dans la rue au quotidien.
Depuis le Doi Moi (1986), qui correspond à l’ouverture du pays à l’international; les jeunes et moins jeunes s’habillent comme partout dans le monde : le modèle américain du blue jeans; du t-shirt et des baskets a triomphé ici également. Uniformisation des corps et des travailleurs sur une planète mondialisée. Néanmoins, l’ao dai vietnamien demeure encore aujourd’hui une certaine fierté nationale et fait vibrer dans le cœur des étrangers le « mythe » vietnamien de l’élégance et de la distinction.
L’ao dai traditionnel est essentiellement porté par les femmes; bien qu’il existe une contrepartie masculine – portée plus rarement.
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Histoire de la robe traditionnelle vietnamienne : l’ao dai
Ainsi que nous l’indique Huu Ngoc dans son article « Le « ao dài » : entre tradition et modernité »; ce vêtement des plus mythiques se trouve inscrit à la fois dans la longue histoire et dans la petite histoire. Apparu dans les années 1920-30, le Vietnam étant alors sous tutelle française; les « années folles » et la grande gloire des couturiers français ne peuvent manquer d’influencer la lointaine colonie. L’ao-dai traditionnel vietnamien est en fait une version moderne et optimisée de la tunique traditionnelle à quatre pièces (tu thân) ou cinq pièces (nam thân) ; des prototypes peuvent être vus dans certaines tuniques des XVIIIè-XIXè siècles.
Alors, l’ao dai est-il une robe traditionnelle ou création authentique ? C’est, pour sûr, une œuvre issue du génie sino-vietnamien marqué par l’influence grandissante de la France contemporaine.
Le début du XXème siècle vietnamien souligne la « modernisation des mœurs dans la société féodale et coloniale du Vietnam au début du XXe siècle », correspondant à une « occidentalisation »[2] des codes et des coutumes.
Pendant longtemps, la femme n’a eu que faire de séduire dans la sphère publique ; elle avait un rôle précis à jouer, codifié par le confucianisme – structure sociale sur laquelle repose tout l’édifice socioculturel vietnamien. Une femme mariée doit faire attention à bien se vêtir et à ne pas trop se révéler ; l’occidentalisation des mœurs fait sauter le tabou du corps; et les couturiers se mettent à rivaliser d’ardeur dans la mise en valeur du corps féminin.
L’ao dai traditionnel vietnamien vient donc bouleverser les codes dans une société ultrahiérarchisée; où la femme ne peut être qu’épouse ou fille.
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Qui est l’inventeur de l’ao dai vietnamien ?
L’érudit Huu Ngoc nous répond : « L’opinion générale penche plutôt pour la conclusion selon laquelle le peintre Cat Tuong, formé par l’École supérieure des Beaux-arts de l’Indochine (française); aurait été l’inventeur du ao dai, baptisé souvent « tunique Lemur » (Lemur est son pseudonyme, Tuong signifiant mur). »[3]
Cat Tuong, peintre hanoïen, eut une double inspiration : l’ao ngu than et la mode parisienne ; sa création fut bientôt connue sous nom de « tunique Lemur » et fut une première fois popularisée à la suite d’une Une du journal Ngay Nay (Aujourd’hui) en 1935; où la top-model Nguyễn Thị Hậu en porte une version.
Son véritable essor date des années 1950 à travers la « Première dame » de la République du Vietnam (Sud-Vietnam), Madame Nhu.
Il semble donc que la « robe traditionnelle » vietnamienne soit davantage un legs du Sud que du Nord; car après la Réunification du pays en 1975, en raison d’un pays à reconstruire et de diverses pénuries mais aussi d’un certain ascétisme communiste; la mode avait été délaissée et le port de l’ao-dai avait fini par se raréfier.
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L’ao dai vietnamien aujourd’hui ?
Comme mentionné en introduction de l’article, l’ao dai traditionnel est maintenant un symbole national ; les femmes dirigeantes du pays ne font pas de manières lorsqu’il faut le porter à des évènements internationaux. On a même vu des dirigeants étrangers le vêtir pour faire honneur au Vietnam. Par la force du temps et dans un contexte de mondialisation féroce où les différences culturelles doivent s’afficher nettement pour pouvoir être défendues; l’ao dai vietnamien est devenu la robe traditionnelle du pays.
Revisité par les années 1940, 1950, 1960, puis 1990, 2000 et 2010, l’ao dai vietnamien ne cesse de se réinventer ; en couleurs, en formes, en ornements. La diversité des robes traditionnelles vietnamiennes est si forte qu’une voyageuse étrangère peut revenir du Vietnam munie du vêtement qui lui convient à perfection.
Il est également possible de se faire confectionner sur mesure un ao dai vietnamien; qui il faut le rappeler, est un vêtement qui tient au corps et aux formes de celle qui le porte.
[1] Grillot, Caroline. « Des corps équivoques : perceptions des frontalières vietnamiennes à hekou, Chine », Migrations Société, vol. 126, no. 6, 2009, pp. 111-125.
[2] Huu Ngoc, « Le « ao dai » : entre tradition et modernité », in À la découverte de la culture vietnamienne, Éditions The Gioi, 2006 : p.1130.
[3] Idem